PROGRAMME DE DECEMBRE 2020
En fonction des conditions sanitaires, le Cabinet de Groupe fonctionne au ralenti. Vous trouverez qq propositions et invitations pour les stages et ateliers, via les envois mailS.
Pour cette fin d'année, je vous propose un conte de Noël, spécialement pour nos amis Bretons...
LES
PIERRES DE PLOUHINEC
Dans les merveilles de
la nuit de Noël, Emile Souvestre mit par écrit les récits fantastiques des
veillées des chaumières Bretonnes. C’est une croyance traditionnelle mettant en
scène les pierres de Plouhinec et les animaux parlant à Noël qui est racontée
ici avec talent.
Les pierres de
Plouhinec
Charles Émile Souvestre
(1806-1854)
Plouhinec est un pauvre
bourg au-delà d’Hennebon, vers la mer. On ne voit, tout autour, que des landes
ou de petits bois de sapins, et jamais la paroisse n’a eu assez d’herbe pour
élever un bœuf de boucherie, ni assez de son pour engraisser un descendant des
Rohans1.
Mais si les gens du
pays manquent de blé et de bestiaux, ils ont plus de cailloux qu’il n’en
faudrait pour rebâtir Lorient, et l’on trouve au-delà du bourg une grande
bruyère dans laquelle les korigans ont planté deux rangées de longues pierres
qu’on pourrait prendre pour une avenue si elles conduisaient quelque part.
C’était près de là,
vers le bord de la rivière d’Intel, que demeurait autrefois un homme appelé Marzinn :
il était riche pour le canton, c’est-à-dire qu’il pouvait faire saler un petit
porc tous les ans, manger du pain noir à discrétion et acheter une paire de
sabots le dimanche du laurier2.
Aussi, passait-il pour
fier dans le pays et avait- il refusé sa sœur Rozenn a beaucoup de jeunes
garçons qui vivaient de leur sueur de chaque jour.
Parmi eux, se trouvait
Bernèz, brave travailleur et digne chrétien, mais qui n’avait apporté pour
légitime, en venant dans le monde, que la bonne volonté. Bernèz avait connu
Rozenn toute petite, quand il était arrivé de Pont-Scorff-Bidré pour travailler
dans la paroisse, et elle l’avait souvent poursuivi avec la chanson que les
enfants répètent à ceux de son pays :
Pont-Scorff-Bridé,
Chair de chèvre, Béé3 !
Cela leur avait fait
faire connaissance, et, petit à petit, à mesure que Rozenn grandissait,
l’attachement de Bernèz avait également grandi, si bien qu’un jour il s’était
trouvé amoureux comme les Anglais sont damnés, je veux dire sans rémission.
Vous comprenez que le refus de Marzinn fut pour lui un grand crève-cœur ; cependant il ne perdit pas courage, car Rozenn continuait à le bien recevoir et à lui chanter, en riant, le refrain composé pour ceux de Pont-Scorff.
Plouhinec est un
pauvre bourg au-delà d’Hennebon, vers la mer. On ne voit, tout autour, que
des landes ou de petits bois de sapins, et jamais la paroisse n’a eu assez
d’herbe pour élever un bœuf de boucherie, ni assez de son pour engraisser un
descendant des Rohans1. Mais si les gens du
pays manquent de blé et de bestiaux, ils ont plus de cailloux qu’il n’en
faudrait pour rebâtir Lorient, et l’on trouve au-delà du bourg une grande
bruyère dans laquelle les korigans ont planté deux rangées de longues pierres
qu’on pourrait prendre pour une avenue si elles conduisaient quelque part. C’était près de là,
vers le bord de la rivière d’Intel, que demeurait autrefois un homme appelé Marzinn :
il était riche pour le canton, c’est-à-dire qu’il pouvait faire saler un
petit porc tous les ans, manger du pain noir à discrétion et acheter une
paire de sabots le dimanche du laurier2. Aussi, passait-il
pour fier dans le pays et avait- il refusé sa sœur Rozenn a beaucoup de
jeunes garçons qui vivaient de leur sueur de chaque jour. Parmi eux, se
trouvait Bernèz, brave travailleur et digne chrétien, mais qui n’avait
apporté pour légitime, en venant dans le monde, que la bonne volonté. Bernèz
avait connu Rozenn toute petite, quand il était arrivé de Pont-Scorff-Bidré
pour travailler dans la paroisse, et elle l’avait souvent poursuivi avec la
chanson que les enfants répètent à ceux de son pays : Pont-Scorff-Bridé, Cela leur avait fait
faire connaissance, et, petit à petit, à mesure que Rozenn grandissait,
l’attachement de Bernèz avait également grandi, si bien qu’un jour il s’était
trouvé amoureux comme les Anglais sont damnés, je veux dire sans rémission. Vous comprenez que le
refus de Marzinn fut pour lui un grand crève-cœur ; cependant il ne
perdit pas courage, car Rozenn continuait à le bien recevoir et à lui
chanter, en riant, le refrain composé pour ceux de Pont-Scorff. Or, on était arrivé à
la nuit de Noël, et comme l’orage avait empêché de se rendre à l’office, tous
les gens de la ferme se trouvaient réunis, et, avec eux, plusieurs garçons du
voisinage, parmi lesquels était Bernèz. Le maître de la maison, qui voulait
montrer son grand cœur, avait fait préparer un souper de boudins et de
bouillie de froment au miel ; aussi tous les yeux étaient tournés vers
le foyer, sauf ceux de Bernèz qui regardait sa chère Rozennik. Mais voilà qu’au
moment où les bancs étaient près de la table et les cuillers de bois plantées
en rond dans la bassine, un vieil homme poussa brusquement la porte et
souhaita bon appétit à tout le monde. C’était un mendiant
de Pluvigner qui n’entrait jamais dans les églises, et dont les honnêtes gens
avaient peur. On l’accusait de jeter des sorts sur les bestiaux, de faire
noircir le blé dans l’épi et de vendre aux lutteurs les herbes magiques. Il y
en avait même qui le soupçonnaient de devenir gobelinn à
volonté. Cependant, comme il
portait l’habit des pauvres, le fermier lui permit de s’approcher du
foyer ; il lui fit même donner un escabeau à trois pieds et une portion
d’invité. Quand le sorcier eut
fini de manger, il demanda à se coucher, et Bernèz alla lui ouvrir l’étable
où il n’y avait qu’un vieil âne pelé et un bœuf maigre. Le mendiant se coucha
entre eux pour avoir chaud, en appuyant sa tête sur un sac de lande pilée. Mais, comme il allait
tomber dans le sommeil, minuit sonna. Le vieil âne secoua alors ses longues
oreilles et se tourna vers le bœuf maigre. – Eh bien, mon
cousin, comment cela va-t-il depuis la Noël dernière que je ne vous ai
parlé ? demanda-t-il d’un ton amical. Au lieu de répondre,
l’animal cornu jeta un regard de côté au mendiant. – C’était bien la
peine que la Trinité nous accordât la parole à la nuit de Noël, dit-il d’un
ton bourru, et qu’elle nous récompensât ainsi de ce que nos ancêtres avaient
assisté à la naissance de Jésus, si nous devions avoir pour auditeur un
vaurien comme ce mendiant. – Tous ses sortilèges n’ont pu encore l’enrichir,
reprit le bœuf, et il se damne pour bien peu. Le diable ne l’a même pas
averti de la bonne chance qu’il y aura ici près, dans quelques jours. -
Quelle bonne chance ?
demanda l’âne. – Comment,
reprit le bœuf, ne savez-vous donc pas que, tous les cent ans, les pierres de
la bruyère de Plouhinec vont boire à la rivière d’Intel et que, pendant ce
temps, les trésors qu’elles cachent restent à découvert ? – Et encore, ajouta
le bœuf, les trésors que vous avez emportés tombent-ils en poussière si vous
ne donnez en retour une âme baptisée ; il faut la mort d’un chrétien
pour que le démon vous laisse jouir en repos des richesses de Plouhinec. Le mendiant avait
écouté toute cette conversation sans oser respirer. – Ah ! chers
animaux, mes petits cœurs, pensait-il en lui-même ; vous venez de me
faire plus riche que tous les bourgeois de Vannes et de Lorient ; soyez
tranquilles, le sorcier de Pluvigner ne se damnera pas désormais pour rien. Il s’endormit
ensuite, et le lendemain, au point du jour, il était dans la campagne
cherchant l’herbe de la croix et le trèfle à cinq feuilles. Il lui fallut
chercher longtemps et s’enfoncer dans le pays, là où l’air est plus chaud et
où les plantes restent toujours vertes. Enfin, la veille du jour de l’an, il
reparut à Plouhinec avec la figure d’une belette qui a trouvé le chemin du
colombier. Comme il passait sur
la lande, il aperçut Bernèz occupé à frapper avec un marteau pointu contre la
plus haute des pierres. – Que Dieu me
sauve ! s’écria le sorcier en riant; avez-vous envie de vous creuser une
maison dans ce gros pilier ? – Non, dit Bernèz
tranquillement ; mais comme je suis sans ouvrage pour le moment, j’ai
pensé que si je traçais une croix sur une des pierres maudites, je ferais une
chose agréable à Dieu, qui me le revaudra tôt ou tard. –Vous avez donc
quelque chose à lui demander ? fit observer le vieil homme. – Tous les chrétiens
ont à lui demander le salut de leur âme, répliqua le jeune gars. Bernèz le regarda. – Ah ! vous
savez cela, reprit-il ; après tout, il n’y a ni honte ni péché, et si je
recherche la jeune fille, c’est pour la conduire devant le curé.
Malheureusement Marzinn veut un beau-frère qui puisse compter plus de réales que
je ne possède de blancs marqués. – Et si je te faisais
avoir plus de louis d’or que Marzinn ne possède de réales ?
dit le sorcier à demi-voix – Vous ! s’écria
Bernèz. – Moi ! – Que me
demanderiez-vous pour cela ? – Rien qu’un souvenir
dans tes prières. – Ainsi, il n’y
aurait pas besoin de compromettre mon salut ? – Il n’y aurait
besoin que de courage. – Alors, dites-moi ce
qu’il faut faire ! s’écria Bernèz, en laissant tomber son marteau ;
quand on devrait s’exposer à trente morts, je suis prêt, car j’ai moins de
goût à vivre qu’à me marier. Quand le mendiant vit
qu’il était si bien disposé, il lui raconta comment, la nuit prochaine, les
trésors de la lande seraient tous à découvert, mais sans lui apprendre en
même temps le moyen d’éviter les pierres au moment de leur retour. Le jeune
garçon crut qu’il ne fallait que de la hardiesse et de la promptitude, aussi
dit-il : – Vrai comme il y a
trois personnes en Dieu, je profiterai de l’occasion, vieil homme, et j’aurai
toujours une pinte de mon sang à votre service pour l’avertissement que vous
venez de me donner. Laissez-moi seulement finir la croix que j’ai commencé à
creuser sur cette pierre ; quand il sera temps, j’irai vous rejoindre
près du petit bois de sapin. Bernèz tint parole et
arriva au lieu convenu une heure avant minuit. Il trouva le mendiant qui
portait un bissac de chaque main et un autre suspendu au cou. – Allons, dit-il au
jeune homme, asseyez-vous là et pensez à ce que vous ferez quand vous aurez à
discrétion l’argent, l’or et les pierreries. Le jeune homme
s’assit à terre et répondit : – Quand j’aurai
l’argent à discrétion, je donnerai à ma douce Rozennik tout ce qu’elle
souhaite et tout ce qu’elle a souhaité, depuis la toile jusqu’à la soie,
depuis le pain jusqu’aux oranges. – Et quand vous aurez
l’or à volonté ? ajouta le sorcier. – Quand j’aurai l’or
à volonté, reprit le garçon, je ferai riches tous les parents de Rozennik et
tous les amis de ses parents jusqu’aux dernières limites de la paroisse. – Et quand vous aurez
enfin les pierreries à foison ? acheva le vieil homme. – Alors, s’écria
Bernèz, je ferai tous les hommes de la terre riches et heureux, et je leur
dirai que c’est Rozennik qui l’a voulu. Pendant qu’ils
causaient ainsi, l’heure passait et minuit arriva. À l’instant même, il se
fit un grand bruit sur la lande et l’on vit, à la clarté des étoiles, toutes
les grandes pierres quitter leurs places et s’élancer vers la rivière
d’Intel. Elles descendaient le long du coteau en froissant la terre et en se
heurtant comme une troupe de géants qui auraient trop bu ; elles
passèrent ainsi pêle-mêle à côté des deux hommes, et disparurent dans la
nuit. Alors le mendiant se
précipita vers la bruyère suivi de Bernèz, et, aux places où s’élevaient un
peu auparavant les grandes pierres, ils aperçurent des puits remplis d’or,
d’argent et de pierreries qui montaient jusqu’au bord. Bernèz poussa un cri
d’admiration et fit le signe de la croix ; mais le sorcier se mit
aussitôt à remplir ses bissacs, en prêtant l’oreille du côté de la rivière. Il finissait de
charger le troisième, tandis que le jeune homme remplissait les poches de sa
veste de toile, lorsqu’un murmure sourd comme celui d’un orage qui arrive se
fit entendre au loin. Les pierres avaient fini de boire et revenaient prendre
leurs places. Elles s’élançaient,
penchées en avant comme des coureurs, et brisaient tout devant elles. Quand
le jeune homme les aperçut, il se redressa en s’écriant : – Ah ! Vierge
Marie, nous sommes perdus ! – Non pas moi, dit le
sorcier, qui prit à la main l’herbe de la croix et le trèfle à cinq feuilles,
car j’ai ici mon salut ; mais il fallait qu’un chrétien perdît la vie
pour m’assurer ces richesses, et ton mauvais ange t’a mis sur mon
chemin ; renonce donc à Rozenn et pense à mourir. Pendant qu’il parlait
ainsi, l’armée de pierres était arrivée; mais il présenta son bouquet magique
et elle s’écarta à droite et à gauche pour se précipiter vers Bernèz ! Celui-ci, comprenant
que tout était fini, se laissa tomber à genoux et allait fermer les yeux
lorsque la grande pierre qui accourait en tête s’arrêta tout à coup, et,
fermant le passage, se plaça devant lui, comme une barrière pour le protéger. Bernèz, étonné,
releva la tête, et reconnut la pierre sur laquelle il avait gravé la
croix ! C’était désormais une pierre baptisée, qui ne pouvait nuire à un
chrétien. Elle resta immobile
devant le jeune homme jusqu’à ce que toutes ses sœurs eussent repris leur
place ; alors, elle s’élança comme un oiseau de mer pour reprendre aussi
la sienne, et rencontra sur son chemin le mendiant que les trois bissacs chargés
d’or retardaient. En la voyant venir,
celui-ci voulut présenter ses plantes magiques ; mais la pierre devenue
chrétienne n’était plus soumise aux enchantements du démon, et elle passa
brusquement, en écrasant le sorcier comme un insecte. Bernèz eut, outre ce
qu’il avait recueilli lui-même, les trois bissacs du mendiant, et devint
ainsi assez riche pour épouser Rozenn et pour élever autant d’enfants que
le laouennanik4a de petits dans sa couvée. 1. En Basse-Bretagne,
on appelle les porcs, mab-Rohan, fils de Rohan; à Saint-Brieuc,
on les traite simplement de messieurs. 2. Le dimanche des
Rameaux est appelé le dimanche du laurier, sul el lauré, parce
que, ce jour-là, on distribue, à l’église, du laurier bénit. 3. Les habitants de
Pont-Scorff-Bidré ou Bas-Pont-Scorff élèvent un grand nombre de chèvres, ce
qui a fait supposer qu’ils en mangeaient beaucoup. 4.Laouennanik,
petit joyau, est le nom breton du roitelet.
Chair de chèvre, Béé3 !
– Vous êtes bien fier, monsieur de Ker-Meuglant, reprit l’âne avec
gaieté ; j’aurais plutôt droit de me plaindre, moi dont le chef de famille
porta autrefois le Christ à Jérusalem, comme le prouve la croix qui nous a
été imprimée depuis entre les deux épaules ; mais je sais me contenter
de ce que les trois personnes veulent bien m’accorder. Ne voyez-vous point,
d’ailleurs, que le sorcier est endormi ?
– Ah ! je me rappelle maintenant, interrompit l’âne ; mais les
pierres reviennent si vite à leur place, qu’il est impossible de les éviter
et qu’elles vous écrasent si vous n’avez point, pour vous en préserver, une
branche de l’herbe de la croix entourée de trèfle à cinq feuilles.
– Et n’avez-vous point aussi quelque chose à lui dire de Rozenn ? ajouta
plus bas le mendiant.
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